Handicap et mesures d’assistance éducative abusives, la protection de l’enfance déboutée

Handicap et mesures d’assistance éducative abusives, la protection de l’enfance déboutée

Rejetant un signalement de l’école et de l’inspecteur d’académie à l’encontre des parents d’un enfant atteint de TDAH, un juge des enfants dit n’y avoir lieu à assistance…

Dans cette affaire récente, la directrice de l’école avait effectué, comme c’est hélas de plus en plus fréquent, un signalement avec l’inspecteur d’académie à l’encontre des parents d’un enfant atteint de TDAH, en dénonçant la violence de l’enfant, des menaces de mort, une insolence systématique, des troubles de développement, une absence de remise en question des parents et des difficultés éducatives, l’éducation nationale allant jusqu’à affirmer que tous les enseignants étaient en insécurité en raison du comportement de l’enfant et de la posture parentale… Ils avaient fini par obtenir la saisine du parquet et du juge des enfants.

Dans un jugement rendu le 15 septembre, le juge des enfants a dit n’y avoir lieu à assistance éducative et ordonné le classement de cette procédure en notant qu’il ressortait des pièces transmises ainsi que des avis des professionnels de santé que l’enfant présentait un trouble du déficit de l’attention expliquant les comportements problématiques mis en évidence et qu’il ne pouvait être relevé un déni parental ou une négligence éducative, les parents démontrant la mise en place de différents suivis mis en œuvre au bénéfice de leur fils depuis plusieurs années…

Ce signalement était à l’évidence intempestif et calomnieux, mais il a parfaitement réussi le processus d’exclusion du système public de l’éducation nationale… puisque les enfants de la famille sont désormais scolarisés dans un établissement privé.

 

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Droit du dommage corporel : la réparation des préjudices doit être integrale

Droit du dommage corporel : la réparation des préjudices doit être integrale

En matière de dommages corporels, la réparation des préjudices doit être intégrale.

Il résulte de l’article 4 du Code Civil et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime que le juge ne peut refuser d’évaluer un préjudice dont il constate l’existence.

Cette règle, posée de longue date et répétée régulièrement par la Cour de Cassation, doit néanmoins être rappelée régulièrement à certains juges du fond. C’est ce que vient de faire la Cour d’appel de Toulouse dans un arrêt du 20 juin 2023 (RG 22/00956).

Dans un arrête récent, la cour d’Appel de Toulouse indemnise une victime qui n’est plus en capacité d’entretenir son patrimoine immobilier, en application de l’article 4 du code civil (principe de réparation intégrale des préjudices).
 

Le demandeur, victime d’une agression extrêmement violente, demandait réparation du préjudice résultant de l’impossibilité pour lui de continuer d’entretenir son patrimoine immobilier, activité qu’il pratiquait de manière importante avant l’agression. La commission d’indemnisation des victimes d’infractions avait rejeté sa demande, faute de trouver le poste de préjudice adéquat dans la nomenclature habituelle. La Cour d’appel de Toulouse infirme la décision de la commission et rappelle ce qui suit :

« En premier lieu, il importe de rappeler que le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime impose de chercher à rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit, ce qui suppose de procéder à une appréciation in concreto du préjudice, au-delà des catégories et postes de préjudice proposés dans la nomenclature Dintilhac.
Au cas d’espèce, il est constant que le demandeur s’investissait dans des activités de bricolage et l’expert énonce que cela lui est désormais impossible au regard du tremblement des extrémités dont il souffre.
Il ne peut donc plus entretenir lui-même son patrimoine immobilier comme il prouve qu’il le faisait au moyen des attestations de ses proches et locataires. Et il demande au nom de du principe de réparation intégrale, à être indemnisé à hauteur du coût de son remplacement par un artisan. (…).
Dès lors, il sera retenu que du fait des séquelles des blessures, (le demandeur) doit exposer des frais supplémentaires et annuels chiffrés à 2000 € pour faire assurer par des tiers le temps de travail qu’il consacrait à l’entretien courant de ses biens.
Cette somme doit être capitalisée jusqu’à l’âge de la retraite, soit 64 à ce jour, et non de façon viagère comme sollicité, puisque l’activité revendiquée n’a pas vocation à être maintenue sous cette forme au-delà de la période de vie active, sur la base du barème le plus récent paru à la Gazette du Palais (…) »

La cour alloue donc à ce titre au demandeur une somme de près de 50 000 €, très inférieure à ses demandes mais néanmoins bienvenue au regard de la décision initiale de la commission. Elle s’inscrit ainsi dans le cadre d’une jurisprudence constante.

La cour, s’inscrivant dans une jurisprudence constante, casse un arrêt ayant refusé l’indemnisation de la victime qui ne peut s’adonner à des activités de bricolage rénovation.
 

Ainsi, doit être cassé l’arrêt qui, pour rejeter une demande d’indemnisation des frais de logement adapté, avait retenu que la demanderesse sollicitait le financement de l’acquisition d’un bien immobilier, sans avoir saisi son bailleur social aux fins d’attribution d’un nouveau logement (Cour de Cassation, Civile, Chambre Civile 1, 8 février 2023, 21-24.991, Inédit).

De plus, le tiers responsable du préjudice doit indemniser les dommages présents et à venir.
 

L’obligation à réparation du tiers responsable (ou son assureur) emporte l’obligation d’effacer les traces du dommage causé à la victime, pour le présent et pour l’avenir. Cette règle parce qu’elle a pour objet de restaurer la dignité humaine ainsi que sa réinsertion dans la société a acquis dans les textes une dimension européenne (V. résolution n° 75-1 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès, adoptée le 14 mars 1975 et Conv. EDH, art. 6 et 41).

L’indemnisation ne doit pas être forfaitaire.
 

La règle interdit, en outre, au juge du fond de fixer le préjudice, en équité, à une somme forfaitaire (Cass. 1re Civ., 3 juill. 1996 : Bull. civ. 1996, I, n° 296) même en se référant à « une jurisprudence bien établie » (Cass. Crim., 10 févr.
2009, n° 08-85.167 ; JurisData n° 2009-047237 ; Bull. inf. C. Cass. 1er juill. 2009, n° 705).

Elle doit comprendre l’assistance à tierce personne qui doit suppléer la perte d’autonomie.
 

La tierce personne apporte à la victime l’aide lui permettant de suppléer sa perte d’autonomie tout en restaurant sa dignité… L’indemnisation de ce poste de préjudice n’est pas limitée à l’impossibilité d’accomplir certains seulement des actes de la vie courante (Cass. 2ème Civ 23 mai 2019 n° 18-16.651).

L’aide dans l’exploitation d’un centre équestre doit ainsi être indemnisée (Cass. 1ère Civ., 22 mai 2019, n°18-14.063, Publié au bulletin) comme l’aide à l’entretien du patrimoine immobilier, pour la réalisation de travaux que la victime entendait initialement réaliser seule (CA Versailles 7 février 2019 n° 17/03395).

Ici, il ne faut pas confondre le préjudice d’agrément (l’activité ludique de jardinage) et le préjudice matériel (les frais d’entretien du jardin).
 

S’agissant des frais d’entretien d’un jardin, dès lors que la victime s’adonnait au jardinage dans une vaste propriété comportant de nombreuses essences d’arbres, arbustes, plantes, ainsi qu’une serre et une véranda, un tel jardin nécessite un entretien constant pour être maintenu à son niveau. Il convient de ne pas confondre les frais d’entretien du jardin (préjudice matériel) et la privation d’une activité ludique de jardinage (préjudice d’agrément) (CA Grenoble 30 janvier 2018 n°13/04515).

Toutefois, il est nécessaire que les activités soient établies de façon précise.
 

L’indemnisation du préjudice d’agrément ne vise pas à compenser la privation des activités ordinaires de loisirs mais les activités présentant un caractère spécifique en raison de la forme ou de l’intensité de leur pratique et cela soit établi de manière précise. Si la victime avait pour activités favorites la construction/rénovation de bâtiments et qu’elle s’en est trouvé privée du fait de la maladie, il est juste de l’en indemniser (CA Versailles 19 mai 2016 n°14-0269 ; voir aussi CA Versailles 17 septembre 2009 n° 08-05727 ; CA Rouen 17 septembre 2014 n°13/02448, CA Versailles 29 septembre 2011 n°09/09471).

Et l’assistance par tierce personne doit inclure l’assistance dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne.
 

Enfin, dans un arrêt rendu le 25 mai 2023, la Deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne y compris le cas échéant l’entretien de son jardin (Chambre Civile 2, 25 mai 2023, 21-24. 825).

La cour de cassation rappelle même dans un arrêt très récent qu’une victime doit être indemnisée au titre de la tierce personne même dans le cas où elle n’est pas incapable de réaliser des tâches ménagères légères.
 

La Cour de cassation insiste dans un arrêt du 6 juillet et rappelle, en application du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, que le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne. Dès lors, viole ce principe, une cour d’appel qui, pour refuser d’allouer à la victime d’un dommage corporel une indemnisation au titre de ce poste, retient que celle-ci peut assumer, sans aide, les actes ordinaires de la vie quotidienne et n’est pas dans l’impossibilité de réaliser les tâches ménagères légères (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 6 juillet 2023, 22-19.623, Publié au bulletin).

Il reste tout de même qu’un certain nombre de préjudices ne sont pas complètement indemnisés, et ce notamment par les tribunaux de droit public (Tribunaux administratifs, Cour administrative d’appel, Conseil d’Etat ).
 

L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 20 juin 2023 va incontestablement dans le bon sens. Il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de préjudices sont régulièrement pas ou mal indemnisés. C’est notamment le cas devant la juridiction administrative, qui alloue très fréquemment des indemnités très inférieures à celles allouées par les juridictions civiles. Il serait vivement souhaitable qu’il soit procédé à une remise en place de l’ensemble du système d’indemnisation pour aboutir à une harmonisation favorable aux intérêts des victimes.

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Résumé : La réparation intégrale des préjudices causés par les erreurs médicales à l’hôpital : encore un effort Mesdames et Messieurs les juges administratifs

Résumé : La réparation intégrale des préjudices causés par les erreurs médicales à l’hôpital : encore un effort Mesdames et Messieurs les juges administratifs

L’un des principes fondamentaux du droit français, en matière de réparation des préjudices est celui de la réparation intégrale des préjudices. Le Conseil constitutionnel a ainsi élevé au rang de principe fondamental le droit à indemnisation (Cons. const., 22 oct. 1982, 9 nov. 1999). La Cour de cassation a elle aussi sanctifié le principe et déclare que « le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit » (voir notamment Cass. civ., 28 oct. 1954 et les arrêts de la deuxième Chambre civile des 7 décembre 1978, 9 juillet 1981, 4 février 1982, 13 janvier 1988 et 21 avril 2005). Cette règle a en outre acquis dans les textes une dimension européenne (Voir la résolution n° 75-1 du comité des ministres du Conseil de l’Europe relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès, adoptée le 14 mars 1975 et la Convention européenne des droits de l’homme, articles 6 et 41).

 

Le Conseil d’État rappelle également le principe, quoiqu’en des termes moins nets (voir notamment CE, 18 novembre 2020 n° 427325 ; CE, 5e ch., 27 nov. 2020, no 426545). Il l’a encore rappelé dans un arrêt rendu le 16 février 2021 (CE, 5e ch., no 428513) concernant une erreur médicale commise lors d’un accouchement ayant occasionné la paralysie cérébrale d’un nouveau-né. Dans cette affaire, la nature des lésions de l’enfant justifiait des déplacements dans l’agglomération bordelaise, à Miami et à Barcelone afin qu’il puisse bénéficier de soins, notamment non conventionnels. La cour d’appel avait exclu toute indemnisation, « faute de justificatifs suffisants » et avait de même  rejeté l’indemnisation de l’achat de chaussures orthopédiques, en considérant que « la réalité et l’ampleur de ces frais n’étaient pas établies ». Or, dans les deux cas, les requérants avaient produit des justificatifs (par exemple des billets de train, d’avion, des factures de péage, de frais d’essence, de chaussures orthopédiques, etc.) au soutien de leurs demandes, mais en nombre insuffisant selon la cour. Le Conseil d’État a censuré cette décision d’appel au motif que les juges doivent évaluer le montant du préjudice indemnisable dont ils constatent l’existence.

Les modalités pratiques de réparation des préjudices corporels varient souvent considérablement entre les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif.

Pourtant, les modalités pratiques de réparation des préjudices corporels varient souvent considérablement entre les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif. Cette distorsion fâcheuse troiuve une illustration particulièrement significative dans le domaine de la réparation des conséquences d’accidents survenus lors des accouchements. Comme on le sait, ici, les actions en justice relèvent de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire des lors que l’accouchement est survenu dans un établissement privé (clinique) et des juridictions de l’ordre administratif lorsqu’il est intervenu dans un établissement public (hôpital). Or, force est de constater que les modalités d’indemnisation des préjudices extrêmement variables entre ces deux ordres peuvent parfois conduire à des indemnisations très significativement inférieures dans les procédures engagées devant la juridiction administrative.

Dans le cas d’enfants nés handicapés, suite à des erreurs médicales à l’accouchement, la question de l’indemnisation présente en général un intérêt majeur.

Tel est particulièrement le cas en matière d’indemnisation des besoins au titre de la tierce personne, qui présente souvent un intérêt financier majeur pour les familles d’enfants nés handicapés, lesquelles ont souvent besoin d’une assistance extrêmement importante pouvant aller jusqu’à 24 heures par jour. Or, dans ce domaine, la jurisprudence administrative est particulièrement restrictive.

 

A titre d’exemple, dans une affaire dans laquelle la consolidation de l’état de santé de l’enfant n’était pas encore intervenue, la Cour d’appel de Nantes avait considéré  qu’il ne pouvait être exclu qu’à l’avenir son état de santé requière son placement permanent dans une institution différente de celle qu’il fréquentait actuellement et que les modalités de prise en charge à son domicile ne pouvaient pas davantage être déterminées. Ainsi, en l’absence d’élément précis concernant les conditions de la prise en charge de l’enfant pour l’avenir et jusqu’à ses 18 ans, la cour a jugé qu’il y avait lieu de lui accorder une rente trimestrielle couvrant les frais de son maintien à domicile au prorata des nuits qu’il aura passées à son domicile au cours du trimestre considéré, dont les parents devront justifier (CAA de NANTES, 3ème chambre, 17/07/2020, 18NT02285, Inédit au recueil Lebon).

Un rééquilibrage jurisprudentiel amorcé par le Conseil d’Etat ?

La plus haute juridiction administrative, par plusieurs arrêts rendus en 2021, amorce semble-t-il un mouvement bienvenu, sinon de revirement en tout cas de « rééquilibrage » jurisprudentiel tendant à assurer le plein respect du principe de réparation intégrale des préjudices et, par voie de conséquence, l’unification des jurisprudences des juridictions judiciaires et administratives.

 

Le Conseil d’Etat a d’abord réaffirmé le principe classique selon lequel la circonstance que l’aide par une tierce personne soit assurée par un membre de la famille ne saurait, par elle-même, intervenir dans la fixation du montant dû à ce titre (CE, 5e ch., 20 avr. 2021, no 433099 réaffirmé plus solennellement par les 5ème et 6ème Chambres réunies le 27 mai 2021, no 433863).

 

Mais c’est un arrêt du 2 avril qui retiendra l’attention, au regard d’une jurisprudence traditionnellement très restrictive en matière d’indemnisation des besoins au titre de l’assistance par tierce personne. Dans cet arrêt, le Conseil juge d’abord qu’en estimant, au vu des pièces du dossier qui lui étaient soumises, notamment le rapport d’expertise judiciaire, qu’il était possible d’apprécier par avance les préjudices extrapatrimoniaux de l’enfant jusqu’à sa majorité, et en condamnant, en conséquence, le centre hospitalier à verser à ce titre une indemnité définitive, la cour d’appel avait porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine. Mieux encore, le Conseil censure les juges d’appel pour avoir retenu que l’indemnisation à ce titre pouvait être limitée à 12 heures par jour en excluant les périodes nocturnes, alors qu’il ressort des pièces du dossier que l’état de l’enfant, atteint d’un déficit fonctionnel supérieur à 95 %, nécessitait en permanence une aide humaine pour la satisfaction de ses besoins vitaux (CE, 5e et 6e ch. réunies, 2 avr. 2021, no 427283).

 

La survenue de ces arrêts à des dates proches indique-t-elle que le Conseil d’État est désormais décidé à mettre fin à une relative mais incontestable divergence jurisprudentielle, qui conduit à une indemnisation très restrictive des besoins des familles au titre de la tierce personne ? Si tel devait être le cas, chacun ne pourrait que s’en féliciter. D’abord, bien sûr, parce que le principe de la réparation intégrale des préjudices est un principe de justice élémentaire et que des divergences jurisprudentielles trop marquées entre les juridictions de l’ordre judiciaire et les juridictions de l’ordre administratif conduisent à des iniquités profondes. Ensuite, parce que l’argument implicite sur lequel reposait cette tendance jurisprudentielle, à savoir la qualité d’établissement public des hôpitaux et la nécessité de faire preuve de la plus grande économie dans les condamnations prononcées à leur encontre, s’il pouvait à certains égards être entendu, n’en demeurait pas moins la source d’injustices majeures selon que les mères avaient accouché dans un établissement public ou privé. Or, si chacun admet sans difficulté la nécessité de protéger le système hospitalier français, cela ne saurait se concevoir au prix de telles injustices. Et il convient ici de rappeler qu’un certain nombre d’accidents survenus à l’accouchement sont eux-mêmes la conséquence de pratiques dans lesquelles entrent un certain nombre de considérations d’ordre financier. Ainsi, par exemple, de la pratique tendant à privilégier de manière outrancière l’accouchement par voie basse au détriment de la césarienne, quand bien même des facteurs de risque important existeraient, méritant que l’on s’engage dans la voie d’une césarienne programmée ou, à tout le moins, que l’on informe clairement les parturientes des risques encourus en cas d’accouchement par les voies naturelles.

 

Quoi qu’il en soit, il reste à espérer que l’évolution jurisprudentielle que semble marquer le Conseil d’État va se prolonger et s’affirmer de manière encore plus nette dans l’avenir et débouchera sur une affirmation rigoureuse du principe de réparation intégrale des préjudices par les juridictions administratives.

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Résumé : La réparation intégrale des préjudices causés par les erreurs médicales à l’hôpital : encore un effort Mesdames et Messieurs les juges administratifs

La réparation intégrale des préjudices causés par les erreurs médicales à l’hôpital : encore un effort, mesdames et messieurs les juges administratifs

L’un des principes fondamentaux du droit français, en matière de réparation des préjudices est celui de la réparation intégrale des préjudices. Le Conseil constitutionnel a ainsi élevé au rang de principe fondamental le droit à indemnisation (Cons. const., 22 oct. 1982, 9 nov. 1999). La Cour de cassation a elle aussi sanctifié le principe et déclare que « le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit » (voir notamment Cass. civ., 28 oct. 1954 et les arrêts de la deuxième Chambre civile des 7 décembre 1978, 9 juillet 1981, 4 février 1982, 13 janvier 1988 et 21 avril 2005). Cette règle a en outre acquis dans les textes une dimension européenne (Voir la résolution n° 75-1 du comité des ministres du Conseil de l’Europe relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès, adoptée le 14 mars 1975 et la Convention européenne des droits de l’homme, articles 6 et 41).

 

Le Conseil d’État rappelle également le principe, quoiqu’en des termes moins nets (voir notamment CE, 18 novembre 2020 n° 427325 ; CE, 5e ch., 27 nov. 2020, no 426545). Il l’a encore rappelé dans un arrêt rendu le 16 février 2021 (CE, 5e ch., no 428513) concernant une erreur médicale commise lors d’un accouchement ayant occasionné la paralysie cérébrale d’un nouveau-né. Dans cette affaire, la nature des lésions de l’enfant justifiait des déplacements dans l’agglomération bordelaise, à Miami et à Barcelone afin qu’il puisse bénéficier de soins, notamment non conventionnels. La cour d’appel avait exclu toute indemnisation, « faute de justificatifs suffisants » et avait de même  rejeté l’indemnisation de l’achat de chaussures orthopédiques, en considérant que « la réalité et l’ampleur de ces frais n’étaient pas établies ». Or, dans les deux cas, les requérants avaient produit des justificatifs (par exemple des billets de train, d’avion, des factures de péage, de frais d’essence, de chaussures orthopédiques, etc.) au soutien de leurs demandes, mais en nombre insuffisant selon la cour. Le Conseil d’État a censuré cette décision d’appel au motif que les juges doivent évaluer le montant du préjudice indemnisable dont ils constatent l’existence.

Les modalités pratiques de réparation des préjudices corporels varient souvent considérablement entre les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif.

Pourtant, les modalités pratiques de réparation des préjudices corporels varient souvent considérablement entre les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif. Cette distorsion fâcheuse troiuve une illustration particulièrement significative dans le domaine de la réparation des conséquences d’accidents survenus lors des accouchements. Comme on le sait, ici, les actions en justice relèvent de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire des lors que l’accouchement est survenu dans un établissement privé (clinique) et des juridictions de l’ordre administratif lorsqu’il est intervenu dans un établissement public (hôpital). Or, force est de constater que les modalités d’indemnisation des préjudices extrêmement variables entre ces deux ordres peuvent parfois conduire à des indemnisations très significativement inférieures dans les procédures engagées devant la juridiction administrative.

Dans le cas d’enfants nés handicapés, suite à des erreurs médicales à l’accouchement, la question de l’indemnisation présente en général un intérêt majeur.

Tel est particulièrement le cas en matière d’indemnisation des besoins au titre de la tierce personne, qui présente souvent un intérêt financier majeur pour les familles d’enfants nés handicapés, lesquelles ont souvent besoin d’une assistance extrêmement importante pouvant aller jusqu’à 24 heures par jour. Or, dans ce domaine, la jurisprudence administrative est particulièrement restrictive.

 

A titre d’exemple, dans une affaire dans laquelle la consolidation de l’état de santé de l’enfant n’était pas encore intervenue, la Cour d’appel de Nantes avait considéré  qu’il ne pouvait être exclu qu’à l’avenir son état de santé requière son placement permanent dans une institution différente de celle qu’il fréquentait actuellement et que les modalités de prise en charge à son domicile ne pouvaient pas davantage être déterminées. Ainsi, en l’absence d’élément précis concernant les conditions de la prise en charge de l’enfant pour l’avenir et jusqu’à ses 18 ans, la cour a jugé qu’il y avait lieu de lui accorder une rente trimestrielle couvrant les frais de son maintien à domicile au prorata des nuits qu’il aura passées à son domicile au cours du trimestre considéré, dont les parents devront justifier (CAA de NANTES, 3ème chambre, 17/07/2020, 18NT02285, Inédit au recueil Lebon).

Un rééquilibrage jurisprudentiel amorcé par le Conseil d’Etat ?

La plus haute juridiction administrative, par plusieurs arrêts rendus en 2021, amorce semble-t-il un mouvement bienvenu, sinon de revirement en tout cas de « rééquilibrage » jurisprudentiel tendant à assurer le plein respect du principe de réparation intégrale des préjudices et, par voie de conséquence, l’unification des jurisprudences des juridictions judiciaires et administratives.

 

Le Conseil d’Etat a d’abord réaffirmé le principe classique selon lequel la circonstance que l’aide par une tierce personne soit assurée par un membre de la famille ne saurait, par elle-même, intervenir dans la fixation du montant dû à ce titre (CE, 5e ch., 20 avr. 2021, no 433099 réaffirmé plus solennellement par les 5ème et 6ème Chambres réunies le 27 mai 2021, no 433863).

 

Mais c’est un arrêt du 2 avril qui retiendra l’attention, au regard d’une jurisprudence traditionnellement très restrictive en matière d’indemnisation des besoins au titre de l’assistance par tierce personne. Dans cet arrêt, le Conseil juge d’abord qu’en estimant, au vu des pièces du dossier qui lui étaient soumises, notamment le rapport d’expertise judiciaire, qu’il était possible d’apprécier par avance les préjudices extrapatrimoniaux de l’enfant jusqu’à sa majorité, et en condamnant, en conséquence, le centre hospitalier à verser à ce titre une indemnité définitive, la cour d’appel avait porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine. Mieux encore, le Conseil censure les juges d’appel pour avoir retenu que l’indemnisation à ce titre pouvait être limitée à 12 heures par jour en excluant les périodes nocturnes, alors qu’il ressort des pièces du dossier que l’état de l’enfant, atteint d’un déficit fonctionnel supérieur à 95 %, nécessitait en permanence une aide humaine pour la satisfaction de ses besoins vitaux (CE, 5e et 6e ch. réunies, 2 avr. 2021, no 427283).

 

La survenue de ces arrêts à des dates proches indique-t-elle que le Conseil d’État est désormais décidé à mettre fin à une relative mais incontestable divergence jurisprudentielle, qui conduit à une indemnisation très restrictive des besoins des familles au titre de la tierce personne ? Si tel devait être le cas, chacun ne pourrait que s’en féliciter. D’abord, bien sûr, parce que le principe de la réparation intégrale des préjudices est un principe de justice élémentaire et que des divergences jurisprudentielles trop marquées entre les juridictions de l’ordre judiciaire et les juridictions de l’ordre administratif conduisent à des iniquités profondes. Ensuite, parce que l’argument implicite sur lequel reposait cette tendance jurisprudentielle, à savoir la qualité d’établissement public des hôpitaux et la nécessité de faire preuve de la plus grande économie dans les condamnations prononcées à leur encontre, s’il pouvait à certains égards être entendu, n’en demeurait pas moins la source d’injustices majeures selon que les mères avaient accouché dans un établissement public ou privé. Or, si chacun admet sans difficulté la nécessité de protéger le système hospitalier français, cela ne saurait se concevoir au prix de telles injustices. Et il convient ici de rappeler qu’un certain nombre d’accidents survenus à l’accouchement sont eux-mêmes la conséquence de pratiques dans lesquelles entrent un certain nombre de considérations d’ordre financier. Ainsi, par exemple, de la pratique tendant à privilégier de manière outrancière l’accouchement par voie basse au détriment de la césarienne, quand bien même des facteurs de risque important existeraient, méritant que l’on s’engage dans la voie d’une césarienne programmée ou, à tout le moins, que l’on informe clairement les parturientes des risques encourus en cas d’accouchement par les voies naturelles.

 

Quoi qu’il en soit, il reste à espérer que l’évolution jurisprudentielle que semble marquer le Conseil d’État va se prolonger et s’affirmer de manière encore plus nette dans l’avenir et débouchera sur une affirmation rigoureuse du principe de réparation intégrale des préjudices par les juridictions administratives.

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La perte de gains professionnels futurs dans le cas d’un accident de la circulation

PREJUDICE PROFESSIONNEL :

 LA PERTE DE GAINS PROFESSIONNELS FUTURS (PGPF)

Dans un jugement du 23 septembre 2021 aujourd’hui définitif (RG 19/09116), la quatrième chambre sur intérêts civils du tribunal judiciaire de Lyon a calculé la perte de gains professionnels futurs d’un jeune garçon victime d’un grave accident de la circulation à l’âge de 20 ans sur la base d’une perte annuelle au titre du salaire brut d’un agent immobilier de 32 000 €, en l’affectant d’un taux de perte de chance de 50 %. La victime, titulaire du baccalauréat, venait à peine d’être inscrite à un BTS « professions immobilières » mais n’avait encore aucune certitude concernant son avenir professionnel. Le tribunal a néanmoins considéré que les éléments du dossier permettaient de retenir une perte de chance d’effectuer une carrière dans l’immobilier et alloue au final à ce titre une indemnisation de plus de 600 000 € à la victime.

Cette décision s’inscrit pleinement dans la jurisprudence qui évalue le préjudice professionnel futur des victimes quand bien même n’auraient-elle pas encore accédé à une parfaite carrière professionnelle, mais elle effectue une appréciation importante et pleinement justifiée de ce préjudice dans le cas d’espèce.

Comment se calcule le préjudice professionnel ?

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