Banderole macronavirus… une atteinte inadmissible à la liberté d’expression
Emission « Les vraies voix » du 5 mai 2020 sur Sud Radio, animée par Christophe Bordet. #LesVraiesVoix
Dans cette émission, Me Pascal Nakache, avocat et Président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme à Toulouse, s’élève contre la mise en garde à vue d’une toulousaine ayant étendu une banderole sur laquelle était inscrit « Macronavirus, à quand la fin ».
Christophe Bordet : « elle a donc mis cette banderole d’un goût qu’on peut juger douteux [¡…] « Macronavirus à quand la fin ? » […]
Me Pascal Nakache : « Elle a été placée en garde à vue pendant quatre heures, informée qu’elle était poursuivie pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique, en l’espèce, le président Emmanuel Macron. »
Christophe Bordet : « Alors, outrage […], je lisais que le délit d’offense a été abrogé. Est-ce que l’outrage, qu’est ce qui est légal, qu’est-ce qui ne l’est pas selon vous ? »
Me Pascal Nakache : « Le délit d’offense a été abrogé à la suite de l’affaire Casse-toi pauvre con ! […] Le procureur de la république de Toulouse s’est rabattu sur l’infraction d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique, sauf que selon une jurisprudence constante tant française qu’européenne, l’outrage suppose d’être adressé directement à la personne concernée […] il faut que l’on ait la preuve que la personne voulait que cela lui parvienne. […] On a un petit peu de mal à imaginer qu’elle ait voulu s’adresser directement au président. […] Ce n’était pas une interpellation directe du président Macron, c’était une formule politique […]. Vous avez dit non sans raison qu’on peut contester le goût de cette formule, je rappelle quand même qu’elle était le titre d’une Une de Charlie Hebdo […], on peut très bien en discuter […].
La question de la liberté d’expression, c’est que dans une démocratie, chacun peut s’exprimer, sous des réserves fixées par la loi, dans le domaine politique sur le ton de la polémique, de la caricature, voir même de l’outrance et la Cour Européenne (de Justice) rappelle très fermement que si il n’y a pas de liberté très large dans ce domaine, c’est une atteinte très grave à la démocratie, parce que la démocratie suppose précisément le débat, la polémique et quelques fois l’outrance ».
C’est une atteinte très grave à la démocratie, parce que la démocratie suppose précisément le débat, la polémique et quelques fois l’outrance
Christophe Bordet : « Philippe Bilger, le procureur de la république fait-il un peu de zèle ? »
Philippe Bilger : « C’est évident, peut-être pas de zèle, mais en tous cas, il n’a pas le sens de la hiérarchie des choses […]. Et j’ajoute, et c’est un élément central, on peut discuter de la constitution de l’infraction, mais si Charlie Hebdo a le droit d’utiliser cette expression et qu’une citoyenne, n’a pas le droit de poser cette banderole, il me semble qu’on créé un partage totalement choquant entre la parole citoyenne et la parole médiatique, et ça, ça n’est pas tolérable ».
[…]
Yael Mellul : « On est dans le contrôle des individus au moment aussi où le gouvernement tente de faire passer un site où il y aurait un contrôle des informations diffusées par les médias. »
Christophe Bordet : « Oui, parce qu’il y a ce site pour empêcher les fake news sur le covid 19, nous dit-on, comme si les journalistes, dans ce pays, ne travaillaient pas assez bien pour dire la vérité sur ce qu’ils ont comme informations concernant la maladie, ce qui est absolument invraisemblable ». (ndlr : desinfox coronavirus, initiative à laquelle le gouvernement a finalement renoncé, voir, par exemple ici)
[…]
Christophe Bordet : « Justement, puisqu’on parle des libertés, il y a l’application Stop-covid, qui va voir le jour sur nos téléphones portables […], ça vous inquiète, vous Me Nakache (à la Ligue des Droits de l’Homme), c’est encore une manière supplémentaire de surveiller […] les gens ? »
Me Pascal Nakache : »L’application stop-covid, ça nous inquiète au plus au point. […] Pour des raisons techniques, déjà ça ne marche pas, mais il va de soi que cette application n’est qu’une nouvelle illustration d’une tentative des pouvoirs publics d’aller toujours plus avant dans une société de contrôle […]. L’affaire de la pandémie, elle est surtout une question de masques, de tests de dépistage etc.., au lieu de ça, on nous instaure des contrôles de plus en plus intrusifs, on nous prétend qu’ils sont volontaires… Ils le seront peut-être dans un premier temps […] et quand au respect de la vie privée, c’est la plus grande inquiétude qui nous anime parce qu’on sait parfaitement qu’on met un doigt dans un engrenage et on ne sait absolument pas où on va s’arrêter. Ce genre de système est toujours, toujours utilisé de manière de plus en plus attentatoire à la liberté des citoyens […] et je veux juste rappeler que la question de la vie privée est ce qui distingue un état démocratique d’un état totalitaire. […] »
Christophe Bordet : « Vous le savez très bien Me Nakache, on est déjà tracé à tout bout de champ, si vous avez un compte facebook, un compte twitter, une carte de retrait bancaire etc… on peut très vite tout savoir de vous ».
Ca n’est pas parce que je suis tracé par un certain nombre d’opérateurs que je vais me réjouir d’être de surcroît tracé par l’Etat à des fins que j’ignore
Me Pascal Nakache : »Ca n’est pas parce que je suis tracé par un certain nombre d’opérateurs, ce à quoi je m’oppose déjà, que je vais me réjouir d’être de surcroît tracé par l’Etat à des fins que j’ignore dans le meilleur des cas ».
[…]
Christophe Bordet : « Oui, bien sûr, dîtes-moi, qu’est-ce que vous allez faire, avec la Ligue des Droits de l’Homme, pour soutenir cette habitante de Toulouse avec cette banderole Macronavirus ? »
Me Pascal Nakache : « Nous avons instamment demandé au procureur de la République d’abandonner ces poursuites et de dire très clairement qu’il classait sans suite. Je rappelle d’ailleurs qu’une militante des gilets jaunes Odile Maurin avait été poursuivie de ce même chef, et que pour les mêmes raisons, le parquet avait abandonné de lui-même les poursuites. […] Si jamais ce n’était pas le cas, […] nous serions amenés à interpeller les plus hautes autorités de l’Etat […] pour dire que cela suffit, nous sommes en démocratie, nous avons droit à débattre, nous avons droit à nous opposer, nous avons même droit à l’outrance et à des formules que chacun peut considérer comme éventuellement maladroites ou malvenues, c’est le propre de la démocratie. […] Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour alerter l’opinion sur le caractère scandaleux de cette affaire. » […]
Christophe Bordet : « Mais, […] Pascal Nakache , on est encore en démocratie ?
La démocratie, ne s’use que si on ne s’en sert pas
Me Pascal Nakache : » […] La démocratie, ne s’use que si on ne s’en sert pas. […] Il y a de nombreux signes d’affaiblissement […]. »
[…]