Droit du dommage corporel : la réparation des préjudices doit être integrale

Droit du dommage corporel : la réparation des préjudices doit être integrale

En matière de dommages corporels, la réparation des préjudices doit être intégrale.

Il résulte de l’article 4 du Code Civil et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime que le juge ne peut refuser d’évaluer un préjudice dont il constate l’existence.

Cette règle, posée de longue date et répétée régulièrement par la Cour de Cassation, doit néanmoins être rappelée régulièrement à certains juges du fond. C’est ce que vient de faire la Cour d’appel de Toulouse dans un arrêt du 20 juin 2023 (RG 22/00956).

Dans un arrête récent, la cour d’Appel de Toulouse indemnise une victime qui n’est plus en capacité d’entretenir son patrimoine immobilier, en application de l’article 4 du code civil (principe de réparation intégrale des préjudices).
 

Le demandeur, victime d’une agression extrêmement violente, demandait réparation du préjudice résultant de l’impossibilité pour lui de continuer d’entretenir son patrimoine immobilier, activité qu’il pratiquait de manière importante avant l’agression. La commission d’indemnisation des victimes d’infractions avait rejeté sa demande, faute de trouver le poste de préjudice adéquat dans la nomenclature habituelle. La Cour d’appel de Toulouse infirme la décision de la commission et rappelle ce qui suit :

« En premier lieu, il importe de rappeler que le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime impose de chercher à rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit, ce qui suppose de procéder à une appréciation in concreto du préjudice, au-delà des catégories et postes de préjudice proposés dans la nomenclature Dintilhac.
Au cas d’espèce, il est constant que le demandeur s’investissait dans des activités de bricolage et l’expert énonce que cela lui est désormais impossible au regard du tremblement des extrémités dont il souffre.
Il ne peut donc plus entretenir lui-même son patrimoine immobilier comme il prouve qu’il le faisait au moyen des attestations de ses proches et locataires. Et il demande au nom de du principe de réparation intégrale, à être indemnisé à hauteur du coût de son remplacement par un artisan. (…).
Dès lors, il sera retenu que du fait des séquelles des blessures, (le demandeur) doit exposer des frais supplémentaires et annuels chiffrés à 2000 € pour faire assurer par des tiers le temps de travail qu’il consacrait à l’entretien courant de ses biens.
Cette somme doit être capitalisée jusqu’à l’âge de la retraite, soit 64 à ce jour, et non de façon viagère comme sollicité, puisque l’activité revendiquée n’a pas vocation à être maintenue sous cette forme au-delà de la période de vie active, sur la base du barème le plus récent paru à la Gazette du Palais (…) »

La cour alloue donc à ce titre au demandeur une somme de près de 50 000 €, très inférieure à ses demandes mais néanmoins bienvenue au regard de la décision initiale de la commission. Elle s’inscrit ainsi dans le cadre d’une jurisprudence constante.

La cour, s’inscrivant dans une jurisprudence constante, casse un arrêt ayant refusé l’indemnisation de la victime qui ne peut s’adonner à des activités de bricolage rénovation.
 

Ainsi, doit être cassé l’arrêt qui, pour rejeter une demande d’indemnisation des frais de logement adapté, avait retenu que la demanderesse sollicitait le financement de l’acquisition d’un bien immobilier, sans avoir saisi son bailleur social aux fins d’attribution d’un nouveau logement (Cour de Cassation, Civile, Chambre Civile 1, 8 février 2023, 21-24.991, Inédit).

De plus, le tiers responsable du préjudice doit indemniser les dommages présents et à venir.
 

L’obligation à réparation du tiers responsable (ou son assureur) emporte l’obligation d’effacer les traces du dommage causé à la victime, pour le présent et pour l’avenir. Cette règle parce qu’elle a pour objet de restaurer la dignité humaine ainsi que sa réinsertion dans la société a acquis dans les textes une dimension européenne (V. résolution n° 75-1 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès, adoptée le 14 mars 1975 et Conv. EDH, art. 6 et 41).

L’indemnisation ne doit pas être forfaitaire.
 

La règle interdit, en outre, au juge du fond de fixer le préjudice, en équité, à une somme forfaitaire (Cass. 1re Civ., 3 juill. 1996 : Bull. civ. 1996, I, n° 296) même en se référant à « une jurisprudence bien établie » (Cass. Crim., 10 févr.
2009, n° 08-85.167 ; JurisData n° 2009-047237 ; Bull. inf. C. Cass. 1er juill. 2009, n° 705).

Elle doit comprendre l’assistance à tierce personne qui doit suppléer la perte d’autonomie.
 

La tierce personne apporte à la victime l’aide lui permettant de suppléer sa perte d’autonomie tout en restaurant sa dignité… L’indemnisation de ce poste de préjudice n’est pas limitée à l’impossibilité d’accomplir certains seulement des actes de la vie courante (Cass. 2ème Civ 23 mai 2019 n° 18-16.651).

L’aide dans l’exploitation d’un centre équestre doit ainsi être indemnisée (Cass. 1ère Civ., 22 mai 2019, n°18-14.063, Publié au bulletin) comme l’aide à l’entretien du patrimoine immobilier, pour la réalisation de travaux que la victime entendait initialement réaliser seule (CA Versailles 7 février 2019 n° 17/03395).

Ici, il ne faut pas confondre le préjudice d’agrément (l’activité ludique de jardinage) et le préjudice matériel (les frais d’entretien du jardin).
 

S’agissant des frais d’entretien d’un jardin, dès lors que la victime s’adonnait au jardinage dans une vaste propriété comportant de nombreuses essences d’arbres, arbustes, plantes, ainsi qu’une serre et une véranda, un tel jardin nécessite un entretien constant pour être maintenu à son niveau. Il convient de ne pas confondre les frais d’entretien du jardin (préjudice matériel) et la privation d’une activité ludique de jardinage (préjudice d’agrément) (CA Grenoble 30 janvier 2018 n°13/04515).

Toutefois, il est nécessaire que les activités soient établies de façon précise.
 

L’indemnisation du préjudice d’agrément ne vise pas à compenser la privation des activités ordinaires de loisirs mais les activités présentant un caractère spécifique en raison de la forme ou de l’intensité de leur pratique et cela soit établi de manière précise. Si la victime avait pour activités favorites la construction/rénovation de bâtiments et qu’elle s’en est trouvé privée du fait de la maladie, il est juste de l’en indemniser (CA Versailles 19 mai 2016 n°14-0269 ; voir aussi CA Versailles 17 septembre 2009 n° 08-05727 ; CA Rouen 17 septembre 2014 n°13/02448, CA Versailles 29 septembre 2011 n°09/09471).

Et l’assistance par tierce personne doit inclure l’assistance dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne.
 

Enfin, dans un arrêt rendu le 25 mai 2023, la Deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne y compris le cas échéant l’entretien de son jardin (Chambre Civile 2, 25 mai 2023, 21-24. 825).

La cour de cassation rappelle même dans un arrêt très récent qu’une victime doit être indemnisée au titre de la tierce personne même dans le cas où elle n’est pas incapable de réaliser des tâches ménagères légères.
 

La Cour de cassation insiste dans un arrêt du 6 juillet et rappelle, en application du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, que le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne. Dès lors, viole ce principe, une cour d’appel qui, pour refuser d’allouer à la victime d’un dommage corporel une indemnisation au titre de ce poste, retient que celle-ci peut assumer, sans aide, les actes ordinaires de la vie quotidienne et n’est pas dans l’impossibilité de réaliser les tâches ménagères légères (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 6 juillet 2023, 22-19.623, Publié au bulletin).

Il reste tout de même qu’un certain nombre de préjudices ne sont pas complètement indemnisés, et ce notamment par les tribunaux de droit public (Tribunaux administratifs, Cour administrative d’appel, Conseil d’Etat ).
 

L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 20 juin 2023 va incontestablement dans le bon sens. Il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de préjudices sont régulièrement pas ou mal indemnisés. C’est notamment le cas devant la juridiction administrative, qui alloue très fréquemment des indemnités très inférieures à celles allouées par les juridictions civiles. Il serait vivement souhaitable qu’il soit procédé à une remise en place de l’ensemble du système d’indemnisation pour aboutir à une harmonisation favorable aux intérêts des victimes.

Nous vous rappelons

Les défaillances médicales liées à la pandémie de Covid-19

Les défaillances médicales liées à la pandémie de Covid-19

Bonjour,
comme chacun le sait, la crise de la Covid-19 a entraîné une désorganisation du système hospitalier français qui a pu, dans certains cas, entraîner une prise en charge défaillante pour certains patients atteints d’autres pathologies.
Dans certains cas, la prise en charge qui devait être réalisée dans un délai impératif n’a pu l’être en raison par exemple du report de rendez-vous dans l’attente d’un moment plus propice.
Dans d’autres cas, la prise en charge qui a effectivement été réalisée dans un moment d’extrême tension n’a pu aboutir au résultat escompté.
Un certain nombre d’entre vous s’interroge sur la possibilité d’obtenir réparation des conséquences préjudiciables qu’ont pu avoir ces prises en charge défaillantes.

Dans l’immense majorité des cas, ils relèveront des dispositions de droit commun de la responsabilité médicale et de l’article 1142-1 du code de la santé publique qui prévoit que ces prises en charge doivent être données dans des conditions attentives, consciencieuses et conformes aux données acquises de la science.
Ils devront en conséquence prouver l’existence d’une faute.
Ici, plusieurs catégories de fautes peuvent être envisagées.

Tout d’abord, l’erreur ou le retard dans le diagnostic : c’est ici l’article 4127-33 du code de la santé publique qui prévoit que tout médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec soin, en y consacrant le temps nécessaire et en s’aidant dans toute la mesure du possible des données scientifiques les plus appropriées et si il y a lieu, de concours appropriés, ce qui implique que le médecin doit non seulement pratiquer tous les examens nécessaires mais qu’il peut également se voir reprocher de ne pas vous avoir orienté vers un confrère spécialisé, mieux à même de prendre en charge cette pathologie.

Une deuxième catégorie de faute peut relever des fautes techniques prévues par l’article 1110-5 du code de la santé publique.
C’est ici bien souvent l’inattention, l’imprudence ou la négligence de la part du praticien qui pourra être caractérisée.
Troisième catégorie de faute dans le cadre de la surveillance post-opératoire et c’est ici l’article D712-49, notamment,du code de la santé publique qui prévoit que doivent être mis à disposition des patients dans le cadre de cette surveillance post-opératoire, tous les moyens matériels et tous les moyens humains.
Enfin, s’agissant des établissements, c’est le contrat d’obligation et de soins qui met à la charge de l’établissement cette obligation de mettre à la disposition des patients non seulement des moyens matériels et humains mais également l’obligation d’informer les patients sur les prestations qu’ils sont en mesure ou non de réaliser.

En conclusion, bien souvent la démonstration de ces fautes revêt une certaine complexité sur le plan technique et appelle l’organisation de mesures d’expertise amiable mais bien souvent des mesures d’expertise judiciaire.

Il est absolument nécessaire dans ce cadre d’élaborer des dossiers complets, non seulement sur la prise en charge attaquée, mais également sur la prise en charge antérieure, de telle sorte que l’on puisse effectuer une comparaison entre ce qui devait être fait et ce qui a été fait effectivement.
Bien souvent, dans ce type de situation, l’assistance de professionnels, qu’il s’agisse de médecins spécialisés ou d’avocats vous sera nécessaire pour vous accompagner dans ces démarches.

Merci.